Par Darchari MIKIDACHE, président du think tank « Cercle des Economistes et des Experts Comoriens (CEEC)
L’efficacité de l’action publique implique d’agir sur plusieurs axes de réformes de l’Etat. A la veille des élections présidentielles aux Comores prévues le 21 février 2016 et le 10 avril 2016 pour choisir le futur président des Comores, les Comores sont à la croisée des chemins pour entrer ou non dans le sentier d’un véritable développement économique. Celles et ceux qui veulent rendre considérer les institutions publiques comme des boucs émissaires de la régression des Comores depuis la prise de l’indépendance le 6 juillet 1975 se trompent de combats. Certes des contraintes externes comme l’instabilité politique n’ont pas favorisé une action publique efficace. Cela a favorisé également une inconscience politique renforcée par la culture de l’impunité indue par une justice pour le moins défaillante avec des remaniements ministériels qui ont engendré une corruption institutionnalisée. Les coups d’Etat et les tentatives de coups d’Etat ont nui gravement au pays tant en termes d’image que de crédibilité.
Les embauches dans l’administration publique sur des critères électoralistes, familiaux ou régionaux n’ont pas permis de créer un appareil d’Etat fonctionnel, efficace et capable de répondre aux défis de développement des Comores. La mise en place de la tournante n’est certes pas parfaite. On peut lui reprocher notamment le fait que les politiques considèrent le pouvoir comme un cadeau à partager entre les gens d’une même île. Pour autant, une telle vision n’a été possible que parce que les présidents élus l’ont bien voulu puisque les Comores vivent sous un régime présidentiel qui consacre la prééminence du pouvoir présidentiel, les vice-présidents censés être les coordonnateurs de l’Action de l’Union dans les îles respectives sont considérés comme de simples ministres sans la possibilité de cosigner les décrets. Certes, la multiplicité des institutions mises en place par la suite n’a fait que rendre budgétivore la masse salariale et les trains de vie de l’Etat et des exécutifs insulaires. Ce qui n’a pas facilité la mission de redressement des finances publiques. Souvent la culture de l’assistanat et la facilité ont pris le pas sur la réforme structurelle pourtant primordiale pour amorcer le décollage des Comores.
Les fonds de la citoyenneté économique, une fausse bonne idée, qui a anesthésié le réformisme public
A titre d’illustration, les fonds de la citoyenneté économique ont permis au pays de disposer de ressources publiques additionnelles pour financer les infrastructures routières essentiellement, ce qui constitue une bonne chose en soi, mais avec une gestion chaotique. En outre, la rénovation des infrastructures de base des autres secteurs clés de l’économie nationale notamment celui de l’eau potable et de l’énergie électrique permettant d’assurer une continuité de l’électricité sur le territoire national n’a pas été engagée de manière efficace alors qu’ils constituent au même titre que les routes, des moteurs indispensables du développement du pays. De même, des réformes engagées en matière de gouvernance pour lutter contre la corruption et assurer un bon fonctionnement de la justice ont été insuffisantes voire peu efficaces. Souvent des actions de façade ont pris le pas sur le contenu.
Des avancées publiques encourageantes mais insuffisantes
Quelques réformes et actions publiques sont à saluer notamment celle de la création d’un compte unique du Trésor afin de centraliser les recettes publiques, la mise en place de la fibre optique quoique peu fonctionnelle, l’arrivée d’un deuxième opérateur de télécommunications aux Comores, la mise en place d’un centre de données pour le ministère des Finances « Data center », la construction de centrale d’énergie à fioul, la mise en place de la Maison de l’Emploi et de l’office National du Tourisme, la mise en route de l’usine de la pêche au thon, la constitution du Fonds d’Entretien Routier, la réduction de l’endettement des Comores au niveau international et bien d’autres actions mais dont le contenu et le fonctionnement devront être renforcés et être améliorés. Car il ne suffit pas de créer des projets de développement pour se satisfaire. Il convient que les programmes et actions entreprises aboutissent aux résultats escomptés avec un suivi réel sur le terrain. Il est essentiel de s’assurer du bon fonctionnement des institutions mises en place notamment les institutions renforçant l’efficacité du pouvoir judicaire et la lutte contre la corruption à savoir la Commission Nationale de Prévention et de lutte contre la Corruption qui ne dépend du pouvoir judiciaire pour les actions judiciaires. Ce qui limite son action surtout lorsque la justice est loin d’être exemplaire. Le vote de la loi création une Cour Supérieure de Magistrature permettant de gérer la carrière des magistrats et juges et par conséquent de contrôler les actes judiciaires peut constituer une avancer considérer si la volonté politique est réelle et le choix des membres devant y siéger sont à la hauteur des missions qui leur seront confiées.
Une gouvernance étatique renforcée, fer de lance du décollage économique
Le renforcement de la gouvernance étatique est primordiale pour permettre aux Comores d’entrer pleinement dans le sentier du développement à l’exemplaire des pays insulaires comme l’île Maurice, le Cap-Vert, les Seychelles ou d’autres pays africains comme le Rwanda qui ont suffi engager des réformes structurelles pertinentes pour devenir des modèles pour l’Afrique.
L’efficacité de l’action publique passe par une réforme de l’administration publique
Une reforme en profondeur de l’administration publique comorienne à commencer par la fonction publique est indispensable pour que l’action publique soit efficace. La mise en place d’un bilan de compétences des agents publics, d’une culture d’objectifs et de résultats, d’un centre interministériel de formation permanente et de recyclage des fonctionnaires publics et contractuels avec le respect rigoureux des cadres organiques institutionnalisant le gel des embauches constitue une phase primordiale au cour de la réforme de l’appareil administratif, l’organisation de concours transparents devenant la règle pour le remplacement des fonctionnaires qui partent à la retraite. La rotation dans les postes, la déconcentration des services publics dans les îles notamment au sein des coordinations de l’Union pour rapprocher l’administration publique des citoyens et les affectations sans distinction de l’origine insulaire des agents sur tout le territoire national sont des pistes à l’explorer dans le cadre d’une expérimentation publique pouvant être généralisée.
La souveraineté financière passe par une mobilisation rigoureuse des ressources publiques
La mobilisation des ressources internes devra être décrétée par le prochain président de l’Union des Comores. Les administrations fiscales de l’Union et des exécutifs insulaires devraient travailler main dans la main pour constituer un fichier complet de tous les contribuables individuels et professionnels. L’élargissement de l’assiette fiscale avec une lutte intelligente et efficace du secteur informel devra constituer une priorité nationale. Une gouvernance numérique « e-gouvernance » permettant à la fois de faciliter la vie aux contribuables comoriens et limiter les évaporations et fuites de recettes fiscales et non fiscales devrait être mise en place rapidement. La systématisation de l’obligation de transmission des données de recoupement et de contrôle de toutes les administrations y compris les services de douanes et employeurs privés devra être institutionnalisée dans le cadre d’une loi pour la mobilisation des ressources publiques, et de renforcement du recouvrement des recettes fiscales. Le contrôle de l’effectivité des services externes de l’Etat et la réduction du train de vie de ce dernier constituent des chantiers de réformes pour rendre l’Etat crédible et respectueux de ses engagements tant au niveau de la régularité du paiement de ses agents et dettes intérieures qu’au niveau des institutions internationales que des pays tiers.
La lutte contre la corruption et une justice exemplaire, clé de voûte du décollage économique des Comores
Le renforcement des actions en matière de lutte contre la corruption et l’instauration d’une justice égale pour tous dans le cadre d’une gouvernance exemplaire, responsable et transparente en matière de gestion des finances publiques constituent la pierre angulaire du développement des Comores. La mise en place de politiques publiques efficaces pour stimuler la croissance économique, créer des emplois nouveaux dans des secteurs clés comme l’économie numérique, une industrie touristique durable, une économie de la mer, une transformation et valorisation des produits locaux et les produits de rente avec le développement de labels de qualité et le « Made in Comoros » ne seront possibles que si les gouvernants passent de la parole aux actes en prenant les décisions qui s’imposent pour mettre les Comores dans la voie d’un véritable décollage économique.
Darchari MIKIDACHE
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